Le deuil, une expérience intime et singulière
- samuellelobbe
- 5 mai
- 5 min de lecture

Du latin "dolus", douleur, le deuil désigne couramment la souffrance éprouvée lors de la perte d'un être aimé.
Le deuil est un processus d'intégration de l'absence (de cet être aimé, même si on peut élargir la définition du deuil, comme on le verra plus loin) pour retrouver un équilibre psychique qui nous permette de fonctionner à nouveau sainement.
Faire son deuil?
Je n'aime pas trop cette expression qui pourrait laisser penser qu'il y a une fin: or il n'y a jamais à proprement parler de fin de deuil.
Même si votre entourage et la société semblent vous y pousser, il ne s'agit pas de "tourner la page", de "passer à autre chose". Il s'agit d'accepter la perte et de transformer le lien que l'on avait, que l'on a, avec la personne disparue.
Accepter n'est pas oublier.
L'expression "faire son deuil" pourrait aussi induire une forme de normalisation du deuil: comme s'il y avait une façon normale de faire son deuil.
Or, chaque deuil est unique et se vit de manière unique.
Il prend le temps qu'il faut à chacun: oui, ressentir la douleur du manque, accepter la réalité de la perte et le(s) changement(s) que cette perte induit dans son environnement, s'ajuster dans ce nouvel environnement "sans le défunt", ou plus exactement en transformant notre lien avec lui, se reconnecter à sa force de vie: cela prend du temps. Cela peut prendre beaucoup de temps. Avec le temps on pourrait dire que cela prend encore du temps, mais plus tout le temps...c'est petit à petit qu' on retrouve notre élan vital et notre capacité à fonctionner dans notre environnement chamboulé.
Les étapes du deuil?
Le processus de deuil passe par un certain nombre d'étapes passé le choc de l'annonce:
le déni (forme de mise à distance de la réalité: "ça va aller"), la résistance (qui va s'exprimer par la colère, le sentiment d'injustice, la révolte...), le lâcher-prise (profonde tristesse, faible niveau d'énergie...), puis l'acceptation et l'intégration, ou à défaut la résignation...
Ces étapes sont normales, les connaître peut aider à se sentir légitime dans son deuil.
Pour autant, le processus de deuil n'est pas linéaire. Vous pourrez faire des allers-retours entre deux étapes, une étape pourra durer beaucoup plus longtemps qu'une autre...Vous pourrez avoir l'impression d'avoir "passé un cap" ou d'aller mieux, et puis vous serez très activé par des moments de l'année qui sonneront le rappel d'évènements partagés: anniversaires, fêtes, vacances...
Je le répète, il n'y a pas de "bonne façon" de faire son deuil, il y a autant de façons que de deuils, l'essentiel est d'arriver in fine à accueillir les émotions difficiles, à les traverser, pour pouvoir accéder à l'acceptation, indispensable pour intégrer la perte et continuer non pas la vie d'avant, mais la vie de la personne que vous êtes devenue en traversant cette épreuve et en intégrant votre nouvel environnement privé de la personne disparue.
Sans cela vous ne serez que dans la résignation, et c'est déjà ça me direz-vous. Oui, survivre, c'est déjà ça, c'est même déjà beaucoup. Mais ce n'est pas vivre.
C'est là toute la différence entre résignation et acceptation.
Le processus de deuil peut se faire naturellement, mais parfois vous pouvez avoir besoin d'être accompagné.e pour pouvoir accepter et enfin intégrer cette expérience douloureuse à votre vie.
Vous êtes en deuil, sachez que...
Colère, injustice, rage, tristesse, chagrin, peur, culpabilité, honte, impuissance...
Vous êtes légitime à éprouver toutes les émotions que vous éprouvez, même si cela est confus, même si votre entourage vous fait sentir qu'il faudrait "avancer"...
Vous seul.e vivez l'expérience que vous êtes en train de vivre comme vous la vivez, parce que c'est votre expérience à vous, votre ressenti, vos émotions, votre manque.
Vous avez le droit d'exprimer vos besoins: que ce soit un besoin d'écoute, un besoin de présence, ou un besoin qu'on vous fiche la paix!...
Vous avez le droit de demander de l'aide si vous avez l'impression à un moment que la souffrance vous empêche de vous reconnecter à la vie
Un.e de vos proches est en deuil:
Evitez les phrases qui commencent par "tu devrais...", "il faudrait..." ou par "moi quand j'ai perdu (...), je (me suis poussé.e à sortir)...
Rappelez-vous: il n'y a pas deux deuils pareils. Même lorsque vous faites le deuil de la même personne (par exemple une fratrie en deuil d'un parent), chacun.e vit une expérience différente à tous les niveaux. Ce n'est pas juste, et cela n'a pas de sens, de comparer.
Soyez présent.e pour lui/elle
Ecoutez le/la sans juger
Soyez patient.e et respectueux/se du deuil de votre proche
Que peut apporter une thérapie au cours du processus de deuil?
La thérapie vous offre un espace rien que pour vous, où vous pourrez déposer toutes vos pensées, tous vos ressentis, toutes vos émotions.
C'est un espace où règnent le respect de votre expérience, le non-jugement et la bienveillance.
C'est un espace dans lequel votre thérapeute vous offrira une présence soutenante, contenante, sécurisante.
La Gestalt-thérapie me paraît particulièrement pertinente:
car c'est une approche qui observe et accueille l'impact de la perte sur toutes les dimensions de la personne (physique, émotionnelle, cognitive, sociale...)
car c'est une thérapie qui met l'accent sur la relation, le lien, et le deuil est avant tout une perte de lien.
car elle vous aidera à traverser l'étape du désengagement (ou du détachement), nécessaire pour retrouver une impression de fluidité dans votre expérience globale de la vie (au lieu de rester figé.e à un endroit, comme si votre vie s'était arrêtée avec la perte)
car elle vous aidera à achever si besoin l'expérience traumatique (tout deuil peut être en soi un traumatisme, et parfois se rajoute un trauma sur le trauma: quand une personne trouve un proche pendu dans le grenier, par exemple, ou quand votre mémoire traumatique vous ramène le souvenir du meurtre de votre mère par votre père (ou l'inverse)... (voir mon article sur la Gestalt-thérapie et le trauma)
car elle vous aidera à sentir ce qui se passe en vous, au présent, à observer tous vos ressentis, à regarder en face non seulement votre peine face à votre perte, mais peut-être aussi votre peur à vous: car un décès cela nous ramène à notre propre finitude et peut venir nous confronter à notre peur de la mort
Le deuil, une expérience traumatique de la perte
Comme je l'avais proposé en début d'article, j'élargis ici la définition du deuil en proposant comme résumé de l'expérience:
"quelque chose ou quelqu'un qui comptait n'est plus là"
Ainsi la perte n'est pas forcément celle d'un être aimé.
Il peut s'agir de toute perte significative pour vous:
un lien rompu ou perdu (un.e ami.e qui coupe brutalement le contact par exemple)
une projection qui s'effondre (par exemple des résultats d'examens médicaux qui vous annoncent votre stérilité alors que vous vous rêviez parent)
un repère dans votre environnement qui est tout à coup bouleversé (par exemple une perte d'emploi, une maison qui disparaît sous les eaux ou dans un incendie...)
Dans toutes ces expériences le processus de deuil est présent.
Et dans toutes ces expériences, votre expérience à vous est avant tout comment VOUS vivez l'expérience, et votre expérience est aussi légitime qu'une autre. Rappelez-vous en, et n'hésitez pas à vous faire aider si vous en ressentez le besoin. Demander de l'aide est une force, pas une faiblesse!
Je termine cet article avec deux citations qui me sont chères sur ce thème du deuil:
"Les gens ont des étoiles qui ne sont pas les mêmes. (...) Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j'habiterai dans l'une d'elles, puisque je rirai dans l'une d'elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. (...)Et quand tu seras consolé (on se console toujours), tu seras content de m'avoir connu." (Antoine de St Exupéry, in Le petit prince)
"J'ai perdu des êtres qui étaient pour moi des sources de soleil. Ce soleil a été mis en terre. Apparemment mis en terre. Moi, je pense que je continue à en recevoir les rayons. Mais je sais aussi, en même temps, que c'est une perte et qu'elle est irrattrapable. Je sais les deux choses. Que dire de plus?" (Christian Bobin)



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